I/ L’IA au service des nouvelles ambitions des acteurs de l’assurance, avec une portée somme toute encore limitée

Les acteurs de l’assurance se réinventent et portent des ambitions nouvelles : permettre une expérience client optimale en cas de survenance du risque, mais aussi, de plus en plus, apporter de la valeur tout au long de la vie du contrat. Ils promettent d’être des « partenaires de vie », avec, par exemple, des offres et des services d’accompagnement plus ciblés, des parcours clients plus intégrés dans leur écosystème, la prévention et l’encouragement de comportements vertueux, tout en étant plus responsables et soucieux des conditions de travail de leurs collaborateurs.


Dans ce cadre, l’Intelligence Artificielle va permettre le développement ou l’accélération des initiatives dans divers domaines d’innovation pour une réponse plus pertinente aux attentes (automatisation des processus, détection des moments de vie, soutien à la vente, agents conversationnels, détection de patterns de fraude, recherche contractuelle…). Si les cas d’usage commencent à être connus, éprouvés dans une certaine mesure, un des réels enjeux à ce stade réside dans la capacité à industrialiser les initiatives et à passer l’IA à l’échelle pour généraliser les expérimentations et accélérer son développement. En effet, plusieurs études1 ont mis l’accent sur des initiatives IA qui restent embryonnaires, avec une latence toute particulière dans le secteur, notamment liée à un manque d’ancrage des initiatives dans une stratégie globale, une maîtrise partielle et insuffisante du patrimoine data, un environnement SI rigide (mais assurant la persistance des activités critiques), et un sujet méconnu générateur de craintes et de scepticisme sur la réelle valeur apportée.


Nous nous sommes intéressés dans cette étude aux leviers favorisant le passage à l’échelle des initiatives d’IA, structurés selon cinq pans : stratégique, financier, data, organisationnel et technologique

II/ Le passage à l’échelle va reposer sur des leviers de succès définis pour répondre aux enjeux spécifiques des projets d’IA

Leviers stratégiques : inscrire les initiatives IA dans une vision d’entreprise, ouverte sur l’ensemble de son écosystème

Le passage à l’échelle doit prendre racine dans une vision stratégique et s’en nourrir, avec une implication des dirigeants, essentielle pour clarifier et communiquer, donner les moyens de la réalisation des attendus, et prendre en compte le caractère innovant de l’expérience (avec une tolérance à l’échec qui doit être plus importante).


Par ailleurs, la vision stratégique doit concevoir l’organisation dans son écosystème, avec une approche systémique prenant en compte l’ensemble des parties prenantes et le développement d’alliances, avec les clients et partenaires notamment.


Pour les clients, la phase de montée à l’échelle suppose d’industrialiser les modalités d’interaction et de feedbacks (processus de sollicitation, collecte des retours, ajustement et partage des bénéfices).

Avec les partenaires, et tout particulièrement dans des contextes socio-économiques complexes et changeants, il s’agit de combiner les exigences de stabilité et de solidité financière pour des activités critiques notamment, tout en s’appuyant et en nourrissant des acteurs plus innovants, flexibles et agiles.

Leviers financiers : évaluer le rendement par rapport à des apports métiers et partager les coûts entre l’ensemble des parties prenantes : IT, Data, Métiers

Pour accélérer l’adoption de l’IA, deux points peuvent être soulignés sur le pan financier : les modalités d’évaluation du retour sur investissement et les modalités de financement en interne.


Le ROI des solutions d’IA reste un critère de décision et de suivi qui génère encore des discussions sur les modalités de calcul et la fiabilité des résultats. L’évaluation de la pertinence des initiatives d’IA doit de fait surtout pouvoir s’appuyer sur l’évolution des indicateurs métiers, rendant compte de l’utilisation qui est faite des technologies, la satisfaction des collaborateurs quant à l’aide qu’elle apporte et la satisfaction des clients.


Le deuxième point concerne les modalités de financement. En effet, les initiatives d’IA supposent une responsabilité on ne peut plus conjointe entre le métier, la DSI et la direction data quand il y en a une. Ces éléments prônent l’option d’un cofinancement des projets entre les directions impliquées, afin que chacune soit parfaitement claire sur ses objectifs, son rôle et les moyens à mettre en œuvre pour atteindre lesdits objectifs.

Leviers du management des données : la data, une richesse à maîtriser pour une exploitation selon les besoins, ambitions et exigences de conformité et d’éthique

La matière première des solutions d’IA reste la donnée. Elle doit être disponible, en volume suffisant, et de qualité, pour assurer la pertinence du modèle et la fiabilité des résultats.


La data doit pouvoir être gouvernée, avec une organisation adaptée. Si plusieurs entreprises ont vacillé entre centralisation et décentralisation de la gestion des données, ce sont les approches hybrides qui sont privilégiées dans les environnements gagnant en maturité sur le sujet. Elles permettent à la fois d’inscrire les initiatives dans le quotidien opérationnel, et assurer l’harmonisation des bonnes pratiques et le partage d’expérience.


Les outils à disposition doivent pouvoir soutenir toutes les exigences de la pyramide des besoins IA, qui concernent la collecte de données, l’exploration des données, les algorithmes qui permettront la mise en place des modèles pertinents, puis la livraison du résultat et son exposition, et ce, y compris en phase de généralisation, avec des données pouvant changer en nature et en volume.


Les réflexions relatives à la conformité au sens large et la protection des données en particulier sont bien à intégrer dans une phase de cadrage, elles doivent aussi être pensées très tôt pour une phase de généralisation (collecte de consentements à plus grande échelle facilitée, transparence et accessibilité de l’information assurée, processus de gestion des plaintes et des recours définis …), avec une approche capabilisante, où on assure les conditions de succès dans le respect des droits plus qu’en se contraignant.


Enfin, l’intégration de l’explicabilité dans les processus de conception, de supervision et de communication, est une composante importante du passage à l’échelle. Elle peut même en être un accélérateur puisqu’elle sert la construction des bases de la confiance, qui encourage l’investissement, permettant le développement de la recherche et de l’innovation.

Leviers organisationnels et humains : prendre en compte les nouveaux enjeux d’évolution des compétences et de management avec une revue des attendus et responsabilités

L’IA va avoir un impact réel sur les besoins en compétences, selon les nouveaux attendus, les nouvelles façons de travailler, de décider, de collaborer avec la machine et avec les autres. Les environnements de travail évoluent aussi : nous retrouvons des experts de la data et de l’IA (et il y a sur le sujet un vrai besoin de technicité) et les « non experts », soit une grande majorité encore, qui ne comprend pas encore bien les apports de l’IA, comme ce qu’elle englobe concrètement. Sans rentrer dans le détail descriptif d’une démarche d’acculturation et d’accompagnement au changement (qui ne date pas de l’IA), nous évoquerons 2 points en complément, sans les traiter ici :

  • La généralisation de l’IA implique un retour en force des politiques/pratiques de gestion des compétences : l’entreprise doit être en capacité de confronter l’existant et le besoin, et les faire coïncider intelligemment dans le respect des compétences acquises, des apports, besoins et contraintes des personnes. Il faut par ailleurs pouvoir le concevoir comme un processus dynamique dans un monde qui bouge vite.

  • Le devenir du travail managérial constituera un enjeu de transformation dans les années à venir : bien que ces problématiques émergent à peine, il est très probable que les processus décisionnels (la responsabilité, l’expertise, la légitimité) soient bouleversés et il faut le préparer.

Leviers techniques et technologiques : intégrer de la souplesse dans les systèmes historiques avec une revue tant des modalités de maintenance que des modalités de travail en équipe

L’intégration des solutions IA aux systèmes d’information existants suppose une adaptabilité et une souplesse tant dans la manière de travailler (ce qu’apportent somme toute les nouvelles pratiques agiles et DevOps/ML Ops) que dans l’architecture des systèmes eux-mêmes. Tout l’enjeu sera d’assurer une cohérence d’ensemble, ce qui requiert un travail conséquent de la DSI pour revisiter des systèmes historiques tout en maintenant les indicateurs métiers au niveau attendu.


Par ailleurs, les lancements de projets IA doivent s’accompagner de la mise en place de processus de supervision et de maintien en condition intelligente, l’objectif étant de s’assurer que le cycle de vie permette l’exposition de résultats pertinents, avec des points de supervision adaptés aux cas d’usage concernés (ex : gestion des dérives, suivi des scores de performances, monitoring…)


Enfin, le succès des projets d’IA s’inscrit dans une culture du travail plus axée sur l’interdisciplinarité et la collaboration. L’IA détient la spécificité d’apprendre, elle doit s’inscrire par conséquent dans un mode organisationnel apprenant lui aussi.

III/ La généralisation des initiatives d’IA dépendra de la capacité de l’ensemble du secteur et de l’écosystème à gagner et conserver la confiance de l’ensemble des acteurs

Au-delà des organisations elles-mêmes, le secteur dans sa globalité ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur les modèles sociaux sous-tendus par l’activité assurantielle, ni d’un questionnement sur l’aptitude de l’intelligence artificielle, en tant que discipline, combinaison de technologies et pratiques, à faire bouger les lignes, à l’heure où la responsabilité sociale de l’entreprise et la raison sociale au sens large s’inscrivent dans les discours et pratiques de marques (client ou employeur).


L’opinion publique comprend et appréhende un peu mieux le domaine, grâce à une acculturation qui gagne du terrain. Les assurés comme les salariés, (qui sont aussi citoyens, consommateurs, utilisateurs et clients) sont aussi plus soucieux de l’empreinte écologique, des engagements éthiques, du niveau de souveraineté et de maîtrise de leurs actifs, plus conscients de la valeur de la donnée et plus attentifs à l’usage qui en sera fait, mais aussi plus à l’écoute de son bénéfice potentiel pour eux.


Les acteurs de l’assurance doivent penser l’amélioration du service et de la performance dans l’intérêt de toutes les parties prenantes, pour conserver la confiance des assurés dans leur capacité à les protéger tout en respectant leur vie privée.

[1]
Roland Berger/Salesforce (2021), L’innovation dans l’assurance vue par les assureurs, Mars 2021, 1-45
Capgemini Research Institute (2020), Smart Money, How to drive AI at scale to transform the financial services customer experience, 2020, p1-45  

  • Sara

    Après quelque 12 années dans l'assurance, d'abord en tant que consultante en accompagnement au changement, puis en tant que responsable d'une équipe Stratégie & Organisation, Sara s’est engagée dans un MBA en management des projets d’Intelligence Artificielle, avant de rejoindre les équipes Assurances et protection Sociale de Sopra Steria Next.

    Elle mène aujourd’hui des missions stratégiques d’aide à la décision au sein d'organisations assurantielles, et dirige des grands projets de transformation.